Le shibari ne consiste pas seulement à immobiliser une personne en vue de toutes sortes d’activités ludiques, mais encore à la parer avec élégance, ce qui s’avère plus délicat qu’il n’y paraît… Surtout quand on débute et que l’on se dit « Mon dieu, mais que vais je bien pouvoir faire de toute cette corde !? »… Puis… on se rend très vite compte que 20 mètres de corde ne représentent finalement pas grand chose ;-)…
Au fil du temps une certaine aisance s’installe et l’on commence a oser des figures plus complexes… Ce qui n’empêche pas une certaine perplexité, parfois, à la vue du résultat, et il ne faut alors pas hésiter à recommencer. C’est en bondant qu’on devient… euh… ;-).
Bien sûr lorsque les jeux sont plus axés sur les échanges de pouvoirs que sur l’esthétique (l’un n’empêchant pas l’autre, bien au contraire ;-) on peut tout simplement choisir de laisser mariner un peu sa complice dans ses liens, et se dire qu’on fera mieux la prochaine fois tout en veillant sur elle d’un oeil discret… Bah oui, règle d’or : ne pas laisser une personne seule dans des cordes, et mieux vaut utiliser d’autres types d’entraves pour les jeux d’engeôlement, mais là on sort carrément du sujet de ce billet ;-)…
( Yoji Muku )
L’art du shibari est ancré au coeur de la tradition japonaise. La première civilisation de l’archipel fut d’ailleurs baptisée « culture de Jômon », ce qui signifie « Culture des motifs de cordes ». N’y voyez aucun hasard, car le laçage imprégnait toute la civilisation de l’ancien Japon depuis ses origines. Voyez par exemple le kimono, constitué de bandes de tissu enroulées autour du corps et savamment nouées. Le noeud était également présent dans les arts martiaux où il servait alors à immobiliser, transporter, voire à supplicier les captifs.
C’est de ce creuset qu’a jailli, vers le XVIème siècle, l’art du Kinbaku, ou ligotage érotique, pour évoluer ensuite vers le shibari contemporain… Et les samouraïs de jadis ont fort heureusement cédé la place à d’exquises Demoiselles agissant en complices dans la perpétration de jolis forfaits sensuels. L’histoire de cette évolution est peu connue, du moins en occident, mais il me semble que les pratiques actuelles s’abreuvent autant à la source des arts floraux qu’à celle des arts martiaux…
J’ai un peu pratiqué l’ikebana il y a quelques années (on reste dans les jolies plantes remarquez ;-), et c’est exactement le même rituel… On commence par observer la fleur, en se demandant comment on va la mettre en valeur. On imagine différentes dispositions, la façon dont on va tirer parti de la lumière jouant sur ses pétales, la façon dont on va déployer les liens sur son corps, l’enchaînement des noeuds qui vont figer le motif sur sa peau…
J’aime bien papoter avec ma complice avant de l’attacher. Et c’est souvent à ce moment là qu’une image commence à se former dans mon esprit. Elle germe et se déploie petit à petit au fil de la conversation, telle une fougère sortant du sol… Quand je nous sens prêts tous les deux je n’ai plus qu’à lui faire signe d’approcher… et commence alors le moment calme qui précède l’instant où on va saisir la corde, et la faire glisser entre ses doigts.
On cesse alors de penser pour s’immerger dans l’océan de l’instant présent. Les gestes deviennent naturels, fluides, instinctifs tandis que la corde vient épouser les courbes de sa complice. Dans les arts traditionnels japonais le résultat est aussi important que la manière d’y parvenir, et le shibari ne déroge pas à cette règle.
J’aime bien les lumières tamisées ou la douceur des bougies dans ces moments là, même si les séances diurnes ont également leur charme… Mon rêve serait de pratiquer le shibari en plein air, ou dans de grands espaces désaffectés… Hihi, j’ai encore des tas de choses à découvrir je crois ;-)…
J’aime bien aussi assister à des performances de bondage, et c’est là que je mesure pleinement tout ce qui me sépare d’un vrai nawashi. C’est pourquoi je n’aurais jamais la prétention de parler ici des subtilités du karada et de l’ushirote munenawa, ou encore de l’art de faire des noeuds. Et ce d’autant plus qu’il existe d’excellentes ressources spécialisées sur le web qui en parlent bien mieux que je ne le ferais jamais… Voyez par exemple ces jolis tutoriaux vidéo d’origine italienne, ou encore la magnifique rubrique « shibari » de Khayyam’s Alamut, qui entrelace (c’est le cas de le dire ;-) très joliment la tradition japonaise avec d’autres influences. Certains puristes y verront peut être une entorse à la tradition, mais moi je dis que c’est à leurs audaces que l’on reconnaît les grands artistes ;-)…
Il n’y a pas de règles particulières en matière de shibari et ce qui se passe une fois le ligotage accompli relève uniquement de l’imagination, et de la nature de la complicité qui réunit les partenaires… Là encore on sortirait du sujet… Un peu de sérieux voyons ;-).
J’ai eu la chance de pratiquer le shibari de l’autre côté de la corde, et ça fait partie de mes plus beaux souvenirs de soumission. Il y a une étrange liberté, paradoxale, dans le fait d’être immobilisé… La notion d’échange de pouvoir érotique prend ici tout son sens, puisqu’on se retrouve physiquement entravé, bien incapable de se mouvoir et totalement assujetti aux désirs et caprices de sa complice. La sensation de lâcher prise qui en résulte est bien plus forte. On peut alors laisser flotter librement son esprit… Même s’il n’est pas rare qu’on se fasse rattraper par une vieille envie de se gratter… le nez (rhooooh, qu’alliez vous imaginer là ;-)…
Je me souviens avec émotion de mon premier karada. La Maîtresse de cérémonie m’avait envoyé me contempler dans une glace, et j’étais resté ébahi par le jeu des cordes dessinant des motifs géométriques sur ma chair… C’était moi, et ce n’était plus tout à fait moi… Etrange et belle sensation, qui précéda de peu le moment de passer à la casserole… J’ai trop peu vécu le shibari en tant que soumis… Soupir… ;-)…
Je dis généralement beaucoup de mal de la télévision, mais à ce stade je ne puis m’empêcher de vous signaler qu’il y a un magnifique film sur le shibari, Haruki Yukimura et Nana-Chan, qui passera sur Arte dans la nuit de samedi à dimanche à 00h30. [edit du 22/11 : oups, en fait c’est dans la nuit de dimanche à lundi et il y aura des rediff… cf les précisions de Malou dans les commentaires]
Le réalisateur, Xavier Brillat, est allé s’immerger dans le monde fermé des nawashis pour en ramener ce petit bijou situé quelque part entre documentaire et objet esthétique. Ce moyen métrage de 38 minutes décrit l’intimité de la relation entre un sensei et son modèle dans le cadre enchanteur d’un ryokan. Pas de commentaires, pas de sous-titrages, ni même d’habillages sonores, juste une succession de plans séquences montrant la réalisation de figures d’une complexité croissante.
Ce film vaut vraiment le détour car il montre tout ce qu’on ne voit jamais sur les photos… ce qui se passe au moment du ligotage qui précède la prise de vue, la dynamique de la réalisation du bondage et les rapports de pouvoir entre le nawashi et sa soumise tandis qu’elle se retrouve inexorablement emprisonnée dans la résille de chanvre qu’il tisse autour de son corps. Quelques jeux de domination y côtoient la caresse entêtante d’un lien sur un téton gorgé de désir, et les moments de complicité sont également très bien rendus. Pour moi ce sont les plus belles scènes du film, lorsque l’on voit la demoiselle littéralement shootée par le traitement qui vient de lui être infligé, assommée de bonheur et d’épuisement. On se demande vraiment où elle peut être dans ces moments là, et l’absence de traduction souligne encore mieux toute la sensualité qui préside à leur belle relation.
Bref, une émission à voir absolument si vous vous intéressez au sujet… D’ailleurs je vous redonne le lien vers le film… Puisqu’au fond tout ça n’est qu’histoire de liens ;-)…
( Haruki Yukimura et Nana-Chan )
Bon visionnage :-).
Allez, une p’tite dernière, juste pour le plaisir des yeux ;-)
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Heidi Silicium
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