Art de la matière

Depuis le temps que je m’intéresse au shibari il fallait tôt ou tard
que je m’approche de ces objets fascinants que constituent les cordes
en chanvre, généralement considérées comme un must en matière de
ligotage érotique.

Pour ma part ce fut plutôt tard que tôt, mais c’est surtout car ces
cordes là restent, quoiqu’on en dise, assez difficiles à trouver,
surtout quand on cherche un diamètre précis (8mm en ce qui me
concerne)… et c’est finalement dans une corderie spécialisée que j’ai
fini par dénicher enfin les rouleaux tant convoités…

Bien sur j’aurais pu les acheter en ligne, en évitant soigneusement les
appellations du type « chanvre optique » qui restent du synthétique…
mais en cette matière plus qu’en une autre il me semble important de
pouvoir toucher avant d’acheter, et puis… comment aurais je pu
éprouver cette sensation d’être un gamin lâché dans un magasin de
confiseries si j’étais resté assis derrière mon écran ;-).

Les cordes de chanvre ont une fâcheuse tendance à contenir de petits
débris de la plante d’origine qui peuvent constituer de réelles sources
d’inconfort, et il est donc souhaitable, si l’on veut conserver de
bonnes relations avec ses modèles ;-), de leur administrer un
traitement destiné à leur conférer la douceur qui sied à l’habillage
d’une jolie demoiselle, et c’est donc armé d’un vieux grimoire magique
que je me suis attelé à cette noble tâche qui n’est pas sans rapport
avec une recette de sorcière, même si les yeux de crapaud sont en
l’occurrence facultatifs.

Déjà pour commencer : faire bouillir… Au moins une heure en remuant à
intervalles réguliers et en faisant attention aux projections, car mine
de rien 8 ou 15 mètres de corde (mes longueurs de prédilection ;-) ne
se touillent pas comme des spaghettis… Il faut surtout penser à bien
ouvrir les fenêtres en grand parce que bonjour l’odeur ;-)…

Puis vient le temps du séchage… Où l’on peut commencer à apprécier à
sa juste valeur le bouquet si caractéristique du chanvre… Et je peux vous assurer que 100m de cordes enroulées sur un séchoir dégagent de
sacrées effluves ;-)…

A ce stade survient un grand doute existentiel, lorsqu’on réalise que
la corde a sensiblement gonflé lors de la cuisson et qu’elle a perdu sa
belle couleur dorée et même sa douceur initiale.  Mais bon… en
suivant bêtement et aveuglément la recette j’ai pu apaiser mes doutes –
et accessoirement muscler mes petits bras – en tordant et en malaxant
sauvagement la pauvre corde dans tous les sens… (bah oui, je sais…
suis un sauvage… désolé…)

J’ai même poussé le vice jusqu’à la passer à la flamme d’une gazinière
pour brûler tout ce qui dépassait, d’où une nouvelle période de doute
existentiel en voyant les traces de brulures (snif… ma belle corde
;-)… sans compter qu’à ce stade la délicate odeur de chanvre cède la
place a une vilaine odeur de brulé…

Ensuite commence la partie vraiment entomologique : il s’agit d’éprouver
la corde sur toute sa longueur pour enlever les restes de plantes qui
pourraient subsister dans la trame des torons et ça, ça prend vraiment
beaucoup de temps pour peu que l’on veuille bien le faire… Bon vu la
matière première on peut toujours fumer les débris pour passer le
temps, mais tout de même…

Il faut bien admettre que c’était un peu décourageant, mais seulement
au début, car rétrospectivement c’est la partie du traitement que je
préfère… pour ce bel art de la lenteur qui s’instaure alors, pour
cette impression étonnante de faire la connaissance intime de la corde
avant de l’utiliser, de percer les secrets de sa fabrication et de la
matière qui la constitue… Elle devient alors plus qu’un accessoire et
accède au rang de partenaire des jeux à venir, voire même de sujet
agissant…

Puis vient la finition, pour lui donner sa douceur finale. Les puristes
recommandent de la passer à l’huile de vison, mais comme ça me faisait
de la peine pour ces sympathiques z’animaux j’ai plutôt utilisé de
l’huile de vaseline… J’aurais préféré une huile végétale à vrai dire,
genre huile de lin… mais il se murmure que ça peut rancir avec le
temps… dont acte.

C’est tout me direz vous ?
Ben non… passque les bouts se défont… et il convient donc de finir
par un petit toupet en sisal pour empêcher la corde de se défaire… On
peut aussi faire une épissure ou prendre du scotch mais c’est moins
joli… Bah oui… tant qu’à faire ;-)…

Il n’y a plus qu’à les laisser reposer avant de les ranger soigneusement…

L’odeur de brûlé s’estompe en quelques jours, et cède la place à celle,
autrement plus enivrante, du chanvre… et je dois bien dire qu’aucune
corde synthétique ne procurera jamais ce plaisir là… C’est encore un
peu tôt pour l’affirmer, mais il me semble que les cordes
s’éclaircissent avec le temps…

En revanche il est clair que ce traitement leur confère une souplesse
tout à fait étonnante. La corde semble presque animée d’une vie propre,
prête à partir s’enrouler d’elle-même autour du modèle.

Tout de même je reste un peu dubitatif devant les effets esthétiques de la cuisson, et je n’ai pas pu m’empêcher de faire un essai sans passer
par cette étape… Bilan: une corde plus fine et plus resserrée (à
gauche), mais plus longue à traiter et, me semble t il, un peu moins
douce au toucher…

Mais à ce stade il faudrait faire des essais pour s’en assurer scientifiquement ;-)…
(euh… appel du pied à peine déguisé ;-)…

___________________
Creative Commons License doigt de miel

This entry was posted in Jeux de cordes, Ombres et lumières. Bookmark the permalink.

14 Responses to Art de la matière

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *