La larme

C’est mon dernier cours. L’aboutissement d’un cycle visant à acquérir tous les fondamentaux de la suspension… D’abord quelques exercices, puis une semi-suspension sur le côté, suivie d’une simulation d’évanouissement pour apprendre comment réagir dans ces cas. A présent c’est le moment de mettre en pratique tout ce qui a été appris au cours des dernières semaines. Il reste 45 minutes avant la fin.

Je commence par un harnais simple autour du torse. Les entrainements sur le dossier d’une chaise entre deux cours m’ont permis de peaufiner la technique. Le geste est fluide, sans hésitation. Je peux me concentrer sur les sensations partagées avec ma modèle. C’est la seconde fois que je l’attache. Une belle grande fille au corps de brindille. Elle a les yeux fermés, visiblement ravie des sensations que lui procure la corde. Il en reste un peu, que j’enroule autour de sa taille, sans serrer. Puis je lui fais un second harnais sur les hanches et la fais mettre à genoux. Je la pousse doucement vers l’arrière. Elle bascule sur le dos, prête à être hissée.

Je tente une fixation à trois points sur ses hanches et tout à coup ça n’a plus rien de simple. Mais comment ça se noue ce machin ? Je fais quelques tentatives. Regarde les brins avec circonspection. François me rejoint. Le moment se prolonge un peu. La jolie modèle demande si elle peut déplier les jambes. Son long corps se déroule entièrement sur la natte. On y arrive enfin.

Première traction. Son bassin décolle. Je rallonge la corde et tire derechef. Elle soupire. Une autre traction et ses pieds décollent du sol, elle bascule en arrière. Un dernier effort. Sa tête se renverse. Une expression extatique a fleuri sur son visage.

Elle se met subitement à secouer la tête pendant que je bloque la corde
Ca va ?
Ouiiiii… Sourire…
Elle gémit, se tord, gigote. Pendant un moment je me demande si c’est de douleur ou de plaisir. Je m’approche. Une larme perle de son œil. Et toujours cet air extatique !
Je pose sa tête au creux de mon bras, lisse ses cheveux sur son front, ses tempes, puis me relève pour fixer une seconde tractante sur le shinju.

Puis soudain une grimace. Le raccord de corde a glissé sur sa clavicule pendant la manoeuvre.
Moment de flottement, juste le temps de déplacer la corde de quelques millimètres. Je me sens désemparé. J’avais pourtant bien fait attention a l’emplacement du noeud ! Et surtout j’ai eu peur un instant de lui avoir brisé la clavicule. Elle a l’air si fragile. Soudain je doute. Son corps est tendu, arqué, sa tête renversée. Elle me redit que tout va bien. François lui soutient la tête. Je l’interroge du regard et il me fait signe de continuer.

Je lui attache un poignet, passe la corde autour de sa cheville et la ramène vers l’arrière. Je suis curieux de ce que ça va réveiller en elle mais François me rappelle qu’elle débute et qu’elle aussi vit sa première suspension… alors je ramène son bras contre son corps et fais simplement quelques tours de cordes sans serrer. J’ai envie d’aller plus loin, explorer ces terres neuves, découvrir ses réactions, mais plus serait trop. Il est temps de la redescendre.

François me suggère de la ramener d’abord sur ses genoux. Je fais glisser la corde très doucement, un bras passé autour de son épaule pour accompagner sa descente… Elle s’affale, sonnée. Je glisse un coussin sous sa tête… Elle semble être au septième ciel. Je défais les cordes qui ceignent ses hanches, puis je la prends contre moi et lui retire très doucement le shinju d’une main. Le contact du chanvre la fait frissonner…

Je ne résiste pas au plaisir de faire glisser la dernière corde avec complaisance sur son corps. Elle vibre, frémit. J’adore les réactions qu’elle me renvoie ! Je m’enhardis. Elle pousse un petit cri. Je devine que la corde lui a brûlé la peau… Je dégage le peu de longueur qui reste, puis l’allonge à nouveau et reste à ses côtés tandis qu’elle récupère. Elle a les yeux clos, une expression indicible sur le visage. Au bout d’un moment elle les rouvre et me sourit…

On débriefe. C’était une position très physique, sollicitant fortement le dos, le cou. Elle ne s’y attendait pas mais elle a adoré ça. C’est d’autant plus remarquable que pour elle aussi c’était une première. Les noeuds étaient bons, mais j’aurais dû éloigner davantage le raccord de sa clavicule. J’aurais dû lui soutenir davantage la tête aussi, et gagné à lui parler pour la rassurer, lui expliquer ce que je faisais. Je note.

Je me repasse toute la séquence…
L’encordage et la descente étaient plutôt réussis. Quelques petites erreurs, mais rien qui ne se corrige.
Je me sentais beaucoup moins assuré pendant la suspension proprement dite. Je revois mon hésitation devant ses réactions. Je réalise que je n’avais pas besoin d’aller plus loin une fois qu’elle était en l’air et qu’il me suffisait de rester avec elle. Suspendre l’instant après avoir suspendu le modèle… Tout ça me rend très humble et je réalise qu’il me reste beaucoup à apprendre.

Puis je revois l’expression de son visage… Cette larme posée au coin de son œil, ses frissons, le poids de son corps pendant que je la détachais…
Je repense à la lettre qu’elle m’a envoyé quelques jours plus tard…
Et je comprends soudain beaucoup mieux pourquoi j’aime tant ces drôles de bouts de ficelle…

 

Remerciements tout particuliers à François Xees, Aby Gaelle
et à la personne qui m’a prêté ce joli mannequin, et tant d’autres choses :-)

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Creative Commons License Kann Danns

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