Flash back

A 19 ans je suis parti dans les Corbières. Initialement c’était pour quelques jours, puis de fil en aiguille j’y suis resté pas loin de deux mois… C’était la première fois que je partais à l’aventure ainsi, et c’était très exaltant de se laisser vivre au jour le jour, sans plan prédéfini… Je me suis même retrouvé à tenir un camping peuplé de gitans… Ils m’avaient adopté, et m’invitaient souvent à diner et on passait des soirées à parler sous les étoiles. C’est aussi là bas que j’ai fait les vendanges pour la première fois.

Les moeurs étaient beaucoup plus libres que dans mon village natal… Après avoir grandi dans une campagne reculée ça m’avait fait comme un choc de rencontrer pour la première fois des gays… enfin, j’ai su après que j’en avais déjà croisé avant, mais à l’époque ils ne l’affichaient pas (c’est d’ailleurs à ce genre de détails qu’on voit comme les années ont filé ;-). Le plus étonnant a été de découvrir qu’il existait des gens qui aimaient à la fois les filles et les garçons, et qu’il y avait des couples qui ne faisaient pas de la fidélité un principe gravé dans le marbre. Belle découverte :-).

C’est là bas aussi que j’ai rencontré mon premier amour « post pubère », parce qu’avant c’est pas compté pareil je trouve ;-). Elle revenait de Londres où elle avait été jeune fille au pair. Elle était belle, fine, brune… Le genre de fille que je n’aurais jamais imaginé pouvoir intéresser un jour… surtout qu’elle était plus grande que moi… Je crois que j’aimais bien ça d’ailleurs… allez donc savoir pourquoi ;-)… C’était très platonique en fait… juste une belle complicité teintée de sensualité entre nous. J’avais été un ado plutôt asexué… J’étais plein de désir pourtant, mais aussi plein de peur de ne pas être à la hauteur…  J’ai vécu cette rencontre comme la confirmation que toutes ces craintes n’étaient pas fondées. C’était la première fois que je vivais quelque chose de ce genre. C’était très beau… J’étais sur un nuage…

Ca a duré environ un mois, puis ma mère m’a appelé pour me demander si je me souvenais qu’il y avait la rentrée universitaire le lundi suivant… Je passais en deuxième année de DEUG… pfft, pile au moment où on devait partir à Barcelone… Pile aussi au moment où Nîmes avait été inondée par une méga coulée de boue… Et au lieu des ramblas j’ai eu droit aux faubourgs recouverts de boue lorsque je suis remonté dans le nord.

Elle devait venir me rejoindre au bout de quelques semaines. On se téléphonait régulièrement. Je sentais vaguement qu’elle s’éloignait de moi, mais j’étais bien trop heureux sur mon petit nuage pour être capable de l’admettre… On est bête à cet âge là… Bon je ne suis pas certain que ça se soit beaucoup amélioré par la suite ;-). Un jour elle m’a annoncé qu’elle venait. Je suis allé l’attendre à la gare… Mais elle n’était pas dans le train… J’ai appelé chez elle, mais ça ne répondait pas… J’étais très inquiet…

Le week end suivant je suis retourné chez mes parents, dans ma campagne profonde… Et c’est là que j’ai enfin eu son frère au téléphone. Il m’a annoncé qu’elle venait de se… marier, avec un géologue rencontré la semaine précédente… et qu’ils étaient partis en Afrique…

Je sais… ça à l’air encore plus naze qu’un mélo sur le cable… et pourtant…

Je me rappelle exactement comment je me suis pétrifié à cet instant là. A un moment j’étais vivant, et à la seconde d’après je n’étais plus qu’un bloc minéral. J’ai senti mon esprit se geler, rester figé sur la pensée que rien ne serait plus jamais comme avant.  Les détails de cette soirée restent flous, mais je me souviens être parti dans les champs, et avoir marché de plus en plus vite, presque jusqu’à courir. Il faisait nuit, et il devait avoir un peu de lune par dessus les nuages car je me souviens que j’arrivais à deviner le chemin qui défilait sous mes yeux. Et je voyais mes pieds avancer et reculer dans mon champs de vision comme s’ils étaient mus par une vie qui m’était devenue étrangère. J’étais toujours incapable de penser… Je me contentais de répéter, c’est pas vrai, c’est pas vrai, c’est pas vrai… en boucle au fil des pas.

Je me souviens avoir crié dans la nuit, m’être roulé par terre… Et puis… voilà…

Il m’a fallu presque 4 ans pour m’en remettre… Quand ça été fini je me suis surpris à penser que c’était bien d’avoir vécu ça. C’était comme une seconde naissance, un mythe fondateur… C’est amusant car aujourd’hui je réalise que ce n’était définitivement pas le genre de personne qui pourrait me faire vibrer aujourd’hui… Bon je suis aussi devenu un peu plus sélectif que je n’étais… euh… beaucoup plus sélectif ;-)

Tout ça est loin à présent, et j’ai vécu de belles choses depuis, mais je ne suis jamais vraiment arrivé à recoller les morceaux avec celui que j’étais avant, et je conserve encore quelques… traces… de cette époque.

C’est étrange car ce soir je viens de réaliser que cette histoire date de l’automne 88, et que ça fait exactement 20 ans que c’est arrivé… Et il me semble aussi que je viens de comprendre pour quelle raison je tombe malade chaque année vers la toussaint…

Et il n’y a pas de mot pour décrire ce que je ressens en cet instant.

( En complément : article du Midi Libre du 6 septembre 2005 )

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9 Responses to Flash back

  1. doigt de miel says:

    Difficile de commenter…
    Histoire émouvante.
    Oui, parfois le corps se souvient mieux que nous. Ou alors c’est parce que l’on refuse de se souvenir que notre âme transmet au corps les signaux du malaise. La lutte inconsciente est trop violente.
    J’ai dans l’idée que chaque vraie histoire d’amour nous prend un peu de nous-même. Ne nous donne-t-elle pas aussi ?
    Celle que vous décrivez fut fulgurante, si courte qu’il vous fallut du temps pour faire le deuil. Mais vous avez aimé…

    Bon, sur ce : une cure de vitamine C, du sport, pas de mélo au ciné mais de bonnes grosses productions d’action. Un cahe-nez pour vous promener dans les courants d’air. Mieux vaut prévenir que guérir !
    B
    Posté par petite francaise, 28 octobre 2008 à 10:47

    Oh, c’était surtout une belle complicité entre deux ados qui s’apprêtaient a devenir adultes…
    J’ai découvert ce qu’était l’amour un peu plus tard, et je ferais peut être un billet là dessus un jour…

    Il me semble que cette histoire m’a pris plus qu’elle ne m’a donné… Après ça il m’a fallu plus de 10 ans rien que pour pouvoir reprendre une femme dans mes bras…

    C’est étrange, mais ce matin j’ai réalisé que même maintenant je reste tellement marqué par cette histoire qu’il est fort possible que j’aie tendance à tout foutre à l’air à chaque fois que je commence à vivre quelque chose de beau…

    C’est bête.
    Posté par doigt de miel, 28 octobre 2008 à 11:59

    Normal je dirais que le 1er amour soit celui qui nous touche le plus, le coeur est tout neuf, indemne de toute souffrance sentimentale donc il « imprime » mieux….. par la suite, le fait de tout faire foirer plus ou moins inconsciemment n’est pas plutôt une mesure d’auto-protection ?
    Allez courage et ne pas se laisser aller à la langueur de l’automne
    Posté par JessicaLouV, 28 octobre 2008 à 12:45

    A….
    A Jessicalouv…
    Hééé, ça fait plaisir d’avoir de vos nouvelles je pensais que vous vous étiez volatilisée dans le cyberespace …

    Hihi, bien sûr que c’est pour me protéger, mais pour ma part je préférerais parfois me frotter à la vie quitte à souffrir un peu au passage, surtout lorsque la vie s’incarne en la personne d’une jolie demoiselle un peu… enfin bref …

    A Petite française et Jessica louv
    Merci pour votre empathie et vos conseils…
    Je vous dirais si je tombe malade cette année… ce n’est pas gagné car je me sens un peu fiévreux et frissonnant depuis cet après midi… peut être que ça a déjà commencé en fait… on verra… .
    Posté par doigt de miel, 28 octobre 2008 à 19:49

    Merci
    C’est un beau récit que voilà ! Je trouve que les histoires d’amour qui arrivent au moment de l’adolescence, aux prémices de notre vie d’adulte, sont les plus belles car elles conditionnent notre vie sentimentale (et sexuelle) future.

    Je tenais à vous remercier d’avoir laissé une trace de votre passage sur mon blog. Par curiosité, surtout grâce au pseudo qui interpelle « forcément » (doigt de miel, c’est gourmand, original et je me suis transformée en abeille, tout simplement !), je suis venue vous lire hier soir. Je n’ai pas eu le temps de tout décortiquer mais la vue d’ensemble me plaît beaucoup !

    Je reviendrai, soyez en sûr !
    Posté par Agatha, 29 octobre 2008 à 19:07

    c’est exactement ça… j’espère simplement que j’aurais l’occasion de revivre ça un jour… ça me changera un peu de l’ordinaire… Euuuh, les dégats en moins si c’est possible…
    Bon cela dit je veux bien qu’il faille morfler un peu quand on a des sentiments… Pour chaque princesse un dragon a terrasser dit on…
    Posté par doigt de miel, 04 novembre 2008 à 01:40

    BLUES
    C’est du blues, ce texte ! Ni plus ni moins qu’un putain de blues raide et pas très propre sur lui mais ultimement VIVANT. Les mots : POUR QUE CA SORTE ! Et ça fait un bien ! Pour l’auteur … et le lecteur ! ! !
    Posté par zappymax, 20 février 2010 à 18:34

    A Xavaular…
    En fait c’était surtout un souvenir longtemps enfoui qui est remonté à une époque où j’allais très mal… Je ne sais pas si ça entre dans la définition du blues
    Merci
    Bises
    Posté par doigt de miel, 21 février 2010 à 21:26