A scene at the sea

Il aimait arriver très tôt le matin, lorsque l’aube n’était encore qu’une vague promesse courant sur l’horizon. Il s’installait sur le talus qui dévalait vers la plage et regardait le ciel s’éclaircir tandis que glissaient au loin les grands bateaux venus de Singapour ou d’ailleurs. C’était toujours le même spectacle, et pourtant la lumière, les couleurs, le chant des vagues et les cris des oiseaux n’étaient jamais tout à fait les mêmes.

Une petite troupe de phoques moines s’approchait parfois entre chien et loup. Ils arrivaient en grand silence et se hissaient sur quelques rochers émergés dans la clarté des étoiles mourantes. C’était vers le moment où s’éteignait le phare du bout de la plage, peu de temps avant que les contours des nuages ne s’embrasent, et que le soleil vienne iriser les flots de l’or de ses premiers rayons. Ce matin-là il aperçut un dauphin qui s’ébattait joyeusement dans les vagues. C’était un événement rare, qui l’emplit de joie, comme si cette vision était porteuse de quelque heureux présage.

La mer miroitait à perte de vue tandis que le soleil du matin réchauffait cette belle journée de fin d’été. Il était déjà proche du zénith lorsqu’un léger voile cotonneux se forma au loin, séparant le bleu des flots de celui du ciel en un fin ruban qui traversait l’horizon et faisait contrepoint à la blancheur du sable parsemé de galets. Il décida d’aller se baigner avant que la pluie n’atteigne la côte et s’élança vers l’eau, nu comme au premier jour, abandonnant derrière lui tout son matériel étalé au milieu de la plage déserte.

Elle arriva tandis qu’il se séchait au soleil. Il l’aperçut au dernier moment, alerté par un frémissement à la limite de son champ de vision. Cela ne le surprit pas davantage qu’il ne s’en effraya. C’était toujours ainsi qu’elle se manifestait.  A un instant il n’y avait personne et l’instant d’après elle était là, au point qu’il s’était parfois demandé si elle ne se matérialisait pas purement et simplement à côté de lui.

Elle lui sourit et s’allongea près de lui, nullement intimidée par sa nudité. Elle portait un petit pull rouge et une longue jupe de lin blanc qui semblait animée d’une vie propre dans la brise légère. Il s’attarda un instant sur son beau visage au menton fin, sa bouche élégante et sensuelle, les soupçons de tâches de son sur ses joues et son nez.  Elle avait de jolis yeux en amande et des pommettes un peu saillantes qui lui donnaient quelque chose d’elfique.  Il ferma les yeux, savourant le calme profond qu’il sentait monter en lui à chaque fois qu’elle était là.

Elle se redressa sur ses coudes pour observer un essaim de cerfs-volants multicolores qui décrivaient de joyeuses arabesques au-dessus d’un groupe d’ados installés un peu plus loin sur la plage. Il les suivit un temps avant de revenir aux courbes qu’il devinait sous la ligne fluide de ses vêtements, l’élégance de sa gorge jaillissant de l’encolure de son pull, le doux renflement de ses seins qui soulevaient l’étoffe au rythme de sa respiration calme et profonde, le galbe de sa jambe croisée sous sa jupe. Il vit qu’elle l’observait avec un sourire qu’il connaissait bien. L’extrémité de son pied nu se balançait avec nonchalance en un appel muet. Son sourire s’élargit encore, dessinant une jolie fossette au coin de sa bouche, lorsqu’il alla s’agenouiller devant elle.

Il commença par balayer les grains de sable qui lui collaient à la peau avant de parcourir sa voûte plantaire en un doux mouvement circulaire des pouces. Puis il remonta sur les côtés en palpant son cou de pied pour défaire les petits noeuds qu’il devinait sous sa peau souple et chaude.  Il se pencha vers elle et lapa son pied, avec délicatesse d’abord, puis de plus en plus passionnément au fur et à mesure que sa langue s’immisçait dans les recoins et les interstices de ses orteils délicats. Il les avala un à un et les fit rouler sous sa langue tout en lui massant doucement le creux des tendons.

La première goutte de pluie éclata sur son épaule en de multiples éclaboussures, le tirant de sa bulle enchantée. Il leva des yeux interrogatifs vers elle, craignant qu’elle n’abrège ce joli moment, mais la belle se contenta de retirer son pull et renversa la tête en arrière, offrant sa gorge et ses jolis seins aux gouttes tièdes et bienfaisantes qui tombaient de plus en plus vite à présent. Il fit glisser sa jupe et la déposa sous elle pour la protéger de la pluie. Elle n’avait gardé qu’une culotte toute simple qui ne tarda pas à être trempée, dessinant les contours de son intimité en transparences affolantes.

Elle avait un corps fin et puissant à la fois, un peu comme ces félins qui dissimulent leur force sous la nonchalance de leurs attitudes. Il parcourut ses cuisses fuselées qui lui évoquaient les colonnes d’un temple, en lécha délicatement l’intérieur chaud et velouté avant de plonger sa langue à travers son voile de coton détrempé. Il sentit des sucs tièdes et délicats s’exsuder à travers le tissu et se mêler à l’eau qui ruisselait de son visage. Il voulut en déposer l’offrande dans la coupe de son nombril, mais elle le saisit par les cheveux et le ramena à son point de départ d’une main douce mais intransigeante.

Il se replongea dans le creuset de ses désirs, parcourant les plis et replis de ses nymphes aussi douces que du corail avec la curieuse sensation de glisser sur un coussin de soie, s’attardant longuement sur le petit bouton de rose qu’il sentait éclore dans son écrin de chair, le taquinant du bout de la langue, l’aspirant doucement entre ses lèvres mi-closes. Elle enroula ses cuisses  autour de lui et le plaqua contre elle avec tant de force qu’il craignit un instant de manquer d’air. Son odeur savoureuse et entêtante envahit ses papilles, déferla dans ses poumons, explosa dans chaque recoin de son être, affolant les petits papillons qui battaient des ailes au creux de son ventre. Il noua ses bras autour de ses hanches et s’abandonna à l’ivresse. Sa langue se vrilla, s’enfonça, plus loin, à la recherche de cette source enchantée qui lui inondait l’âme autant que le visage. Soudain elle eut une convulsion, puis une autre, puis une autre encore, ses cuisses se refermèrent en étau autour de son visage, elle attrapa ses mains et les serra entre ses doigts comme si elle avait voulu les briser.

Lorsqu’il ouvrit les yeux la pluie avait cessé. Il tourna la tête et l’aperçut accroupie près de lui. Elle avait remis ses habits et l’observait de ses yeux rieurs. « C’est moi qui jouis et c’est toi qui t’évanouis », dit-elle en lui caressant les cheveux. Il se contenta de sourire, bien incapable de formuler le moindre début de réponse cohérente. Ses doigts glissèrent sous sa nuque et elle pencha son visage en entrouvrant ses lèvres. Il crut qu’elle allait l’embrasser, mais elle lui donna un large coup de langue qui balaya son visage du menton jusqu’à la naissance du front. Ce fut bref, puissant, animal.

Elle se redressa et s’éloigna dans un dernier sourire. Il resta étendu un long moment, les yeux rivés dans le ciel redevenu bleu, le visage brûlant de sa salive et la bouche pleine de saveurs exotiques. Puis il alla ranger ses pinceaux et replier son chevalet. Les couleurs s’étaient dissoutes sous la pluie et sa marine s’était muée en un enchevêtrement de dégradés de bleu. Il trouva le résultat curieusement réussi, mais pas encore assez pour le lui offrir… Celui-ci irait rejoindre les toiles innombrables qui encombraient son atelier, mais un jour c’est certain il réussirait à peindre un joli tableau… Pour Elle… rien que pour Elle :-)…

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Creative Commons License doigt de miel

Ps. Il y a quelques mois j’avais reçu un gage de sonatine suite à ce billet. Il consistait à écrire un billet évoquant l’univers de Takeshi Kitano… Je ne suis pas certain  que celui-ci soit entièrement kitanesque, mais l’important c’est d’avoir tenu parole non ? ;-)…

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