Rythm 0

Dans cette performance réalisée en 1974 à Naples, Marina Abramovic dispose 72 objets sur une table, dont certains sont destinés a donner du plaisir (miel, plumes, pétales, rouge à lèvres…) et  d’autres servent a blesser (fouet, scalpel, épines…). Puis elle s’installe auprès d’un panneau invitant les personnes présentes à utiliser ces objets sur elle comme bon leur semblera.

Elle reste ainsi pendant 6 heures, offrant une passivité absolue à tous les caprices du public. La plupart des gens se l’approprient comme une poupée, mais l’atmosphère devient malsaine et les jeux du début cèdent la place à une agressivité croissante. Elle se retrouvera presque nue, ensanglantée et en pleurs, une branche d’épines sur l’épaule et des pétales de rose collées sur les seins. La tension atteint son paroxysme lorsqu’un spectateur braque sur elle un pistolet chargé… et qu’un autre intervient pour l’en empêcher.

Lorsqu’elle retourne vers le public après la fin de la performance tout le monde s’enfuit pour éviter la confrontation. « Ce que j’en ai appris, c’est que si vous laissez le public décider, il peut très bien vous tuer. » (…) « Lorsque je suis rentrée à l’hôtel ce soir là je me suis regardée dans la glace et j’y ai vu de grandes plaques de cheveux blancs »


Marina Abramovic est considérée comme la grand-mère de l’ « art performance ». Elle n’a jamais cessé de poursuivre son exploration des limites du corps en tant qu’objet de recherche artistique. Elle considère l’interaction avec le public comme un élément clé de son travail, et l’invite régulièrement a intervenir dans ses oeuvres, mais elle n’a plus jamais cédé le contrôle de la performance à des inconnus.

Vous je ne sais pas, mais chez moi ça déclenche de nombreux échos et questionnements…
Qu’est ce qui fait qu’un groupe devient agressif ? A partir de quel degré de passivité se met on en danger ? Qu’est ce qui fait qu’on est reconnu et respecté en tant qu’être humain ? Ca m’interpelle dans ma pratique du SM bien sûr… Mais au delà de ces (aimables ;-) fantaisies il me semble que ces questions concernent également la sphère privée en général et l’ensemble de la vie sociale… au travail, dans les cours de récré (un certain nombre de profs pourront en témoigner je pense ;-), et jusque dans les relations entre groupes sociaux…

Et sous cet angle là peut être que le mouvement des 99% a quelque chose de profondément salutaire…

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Creative Commons License doigt de miel

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9 Responses to Rythm 0

  1. doigt de miel says:

    Je suis à la fois horrifiée et fascinée par cette performance (que je ne connaissais pas mais que j’ai longtemps imaginée). J’admire le jusqu’au boutisme de cette artiste.
    Je pense, à tort ou à raison, que la violence est une pulsion profondément intrinsèque à l’humain, au même titre que la douceur d’ailleurs… l’instinct de survie/de protection passe par ces sentiments pourtant opposés.
    René Girard (oui je le cite à toutes les sauces, c’est parce que c’est quelqu’un que j’apprécie beaucoup qui me l’a fait découvrir, et j’adhère à beaucoup de ses réflexions) a beaucoup écrit sur la nécessité de la désignation d’un bouc émissaire au sein du groupe sociétal (humain ou animal), afin d’en maintenir le bon équilibre…
    Je développerais bien un peu mais je dois aller me faire épiler (quand on parle de masochisme), et je suis en retard ;-D
    Posté par Peel, 25 octobre 2011 à 16:04

    Je ne suis pas surpris par les résultats de cette expérience… Il en existe une autre bien connue et tout aussi inquiétante : on demande à des personnes de s’improviser bourreau et on les convainc, faisant preuve d’une certaine autorité, d’infliger à leur victime enfermée dans une pièce adjacente, des décharges électriques de plus en plus fortes, sous le prétexte d’une expérimentation… On constate que malgré les cris de la « victime », les bourreaux amateurs poursuivent, pour la plupart sans broncher ! Evidemment, l’expérience est truquée : pas de décharges électriques mais de vrais cris de douleur et des supplications de la part d’un comédien. Cette expérience a été refaite dans le cadre d’un jeu télévisé avec gain à la clef, proportionné à l’intensité supposée des décharges… Même résultat ! Quelques rares candidats ont fini par refuser de continuer mais une majorité significative de « bourreaux amateurs » ont poursuivi, conditionnés par les instructions qu’ils avaient reçues au début du jeu et les encouragements de l’animateur. Voilà donc ce qu’est l’être humain ! Mettez-le en situation de pouvoir, il en redemande… Il y a longtemps que je ne me pose plus de questions sur le SM. Il me semble que les réponses sont dans l’histoire de l’humanité.
    Posté par L’Eronaute, 25 octobre 2011 à 18:46

    L’homme est un loup pour l’homme, ce n’est pas nouveau, alors pour peu qu’il y ait un peu d’excitation, un peu de bizarrerie, un peu de volonté de mise à l’index… on en arrive très vite à la violence, aussi, c’est à mon avis irresponsable de la part d’une artiste de se placer dans une telle situation.
    La liberté de penser et d’action impose un certain nombre de devoirs. Je comprends très bien la démarche, mais je crois que l’on ne gagne rien à s’exposer ainsi, sauf à vouloir susciter la violence et la haine. C’est sans doute triste de devoir se brimer à cause de la connerie de quelques uns, mais il y a tellement de choses tristes en ce monde…
    Posté par photaphil, 25 octobre 2011 à 21:39

    @Eronaute : l’expérience n’est pas, effectivement, sur la capacité des gens à infliger des supplices, mais à accepter ou non l’autorité jusqu’à l’absurde ou l’acte dangereux. un élément clé de cette expérience est le moment où une autre personne intervient pour mettre en doute l’autorité. soit la personne testée arrête, soit au contraire, elle va encore plus loin pour ne pas se déjuger d’avoir infligé des décharges poentiellement mortelle.

    bon, revenons à votre performance. troublant et dérangeant. j’aurais pu être fascinée à une époque. je suis plus effrayée par l’inconscience de l’artiste, mais il faut remettre cela dans le contexte extrême de l’époque. (quoique, quand je vois certains extraits de téléréalité, je me demande si ce n’est pas exactement la même chose)

    votre dernier paragraphe mérite qu’on y réfléchisse un peu. je reviendrai…
    B
    Posté par petite française, 25 octobre 2011 à 22:31

    Triste humanité. Cette expérience-limite n’étonne pas tant par ses résultats que par sa conception, entre courage et inconscience…
    Pour se livrer, il faut de la confiance, celle que donne la complicité, la connivence, ou un contrat, un cadre qui fixe les règles.
    L’expérience que relate Eronaute montre combien la compassion envers autrui est une question de contexte, et semble bien fragile devant le pouvoir…
    Le pouvoir ne peut se donner sans attente, c’est donnant donnant : un contrat social.
    N’y a-t-il pas de cela dans chaque relation humaine ?
    Posté par Ambre, 27 octobre 2011 à 11:09

    A…
    Peel…
    Merci pour l’info sur René Girard (et merci à wikipedia aussi… http://fr.wikipedia.org/wiki/Ren%C3%A9_Girard ;-p)… Je ne sais pas s’il y a un lien avec ses théories, mais je me suis souvent demandé dans quelle mesure le bouc émissaire d’un groupe endosse délibérément ce rôle…

    Parfois je me demande aussi si le SM n’est pas justement une des voies permettant de sublimer cette violence intrinsèque que tu évoques… Une voie parmi d’autres bien sur… simple question de préférences et de sensibilité personnelle je pense… si on peut dire
    Je ne sais pas si on peut ranger un passage chez l’esthéticienne dans cette catégorie, mais quoiqu’il en soit j’espère que ça n’a pas été trop désagréable ;D
    Des bises !
    (ps. admiration partagée mais shht

    Eronaute…
    J’avais également songé à cette expérience en découvrant cette performance… Sur un autre registre elle m’avait aussi fait penser à l’effet Janis (http://fr.wikipedia.org/wiki/Pens%C3%A9e_de_groupe), lorsqu’un groupe d’individus devient collectivement stupide.

    Beaucoup de réponses dans l’histoire oui… Je ne sais pas si vous pensiez à quelque chose en particulier, mais pour ma part l’un des intérêts de ces expériences est de démontrer la nécessité d’un apprentissage du pouvoir… L’histoire est pleine d’enseignements délivrés par des sages sur son bon usage… Peut être qu’il est temps d’en réhabiliter certains… Bien sur c’est du boulot, mais Rome ne s’est pas non plus faite en un seul jour, et je crois que l’humain est infiniment perfectible… suis peut être un peu trop optimiste
    Bises

    Phil…
    C’est amusant, je n’avais pas vu ce côté irresponsable de la performance… mais comme petite française je crois qu’il faut la remettre dans le contexte de l’époque… et peut-être aussi dans une certaine « innocence » de l’artiste…

    Ses premières performances étaient extrêmement poussées… Dans l’une d’elle (rythm 5 ; http://www.artperformance.org/article-26121400.html) elle s’était même évanouie au milieu des flammes sans que personne ne s’en aperçoive… A présent elle ne se met plus en danger mais peut être qu’elle avait besoin de cette violence primordiale pour transcender quelque chose et avancer…
    Bises

    petite française…
    Ce qqui m’interpelle dans les deux expériences c’est la dynamique de groupe qui en ressort… le fait que à chaque fois certains refusent d’entrer dans le jeu… Au fond ça renvoie toujours à la conscience et à la responsabilité individuelle de chacun…

    C’est peut être une des choses qui ont changé avec l’élévation du niveau d’instruction et l’avènement de la société de l’information : la nécessité de se déterminer individuellement alors qu’avant ce choix pouvait être dévolu au groupe par le biais des institutions…
    La télé réalité en offre d’ailleurs une illustration frappante …
    Des bises !
    (ps. j’espère que vous avez eu le temps de réfléchir à mon dernier paragraphe ))

    Ambre…
    Cette notion d’échange est en effet fondamentale, même si le contrat n’est jamais formalisé en tant que tel… L’échange s’instaure de lui même et les équilibres évoluent au fil du temps… Et c’est vrai des individus comme des sociétés.

    Dans le cas de cette performance c’était assez dysfonctionnel mais lorsque la confiance s’établit et que chacun y trouve son bonheur ça donne des histoires merveilleuses
    Des bises
    Posté par doigt de miel, 28 octobre 2011 à 01:59

  2. home says:

    yessssssssssss

    the first !

    kiss

    home !

  3. doigt de miel says:

    Welcome, home :-)))
    (si j’ose dire ;-)
    Kiss