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Ex utero

« Ce livre est né de frustrations, comme celles d’entendre, de voir, de lire des « féministes » et de ne pas s’y reconnaître  (…), la frustration également de n’accrocher à aucun intérêt commun, parce qu’un tel intérêt n’existe pas en dehors du consensus d’une majorité sur une ou plusieurs minorités, système qui n’a plus lieu d’être dans nos sociétés pluralistes (…) »  tel est le propos préliminaire de ce bel essai de Peggy Sastre sous titré « Pour en finir avec le féminisme… »

Son constat de départ : les femmes ont largement conquis leur liberté au cours du dernier siècle… elles travaillent, touchent des salaires, divorcent, ont l’autorité sur les enfants, séparent sexe et reproduction, mais… et si la pire oppression demeurait en elles ?

Et si au delà du joug masculin subsistait « l’entrave d’un corps fait pour assurer la charge de la reproduction d’une espèce et les représentations psycho-biologiques qui en découlent, y compris chez les femmes elles mêmes, et qui feront qu’une Marie couche toi là sera irrémédiablement regardée, en premier lieu par ses camarades de genre, avec mépris ou au mieux compassion » ?

L’ouvrage se présente comme un plaidoyer contre un féminisme « officiel » qui rejette l’hédonisme et considère qu’une femme choisissant d’assumer et (pire) d’exposer des formes de sexualité alternatives  serait forcément à côté de la plaque et victime d’une société machiste qui la reléguerait au rang d’objet érotique, ce qui est pour le moins lui dénier toute possibilité de libre arbitre.

Il se présente également comme une invitation à celles qui le
désirent de s’extraire de ce carcan… Invitation que l’auteur résume
très joliment par « En un mot qui m’aime me suive, il est encore temps
pour les autres d’aller se faire foutre »
… Comme quoi on peut être docteur en philo et avoir le verbe haut et clair
;-)…

C’est peu de dire que j’ai aimé ce livre… C’est vrai quoi… en tant que garçon, et donc forcément oppresseur millénaire et obsédé (bah oui, désolé ;-) comment pourrais je envoyer sur les roses ces nouvelles grenouilles de bénitier qui prétendent qu’une fille doit forcément être amoureuse pour faire l’amour (on dirait presque du Benoît), ou déclament du haut de leur chaire qu’« une actrice porno ne peut pas consentir à faire son métier », en gros que c’est une incapable majeure qui ne peut pas décider ce qui est bon pour elle ou pas…

Bah oui c’est tout simplement pas possible, et puis avec mon p’tit côté soumis j’ai bien trop d’admiration pour le genre féminin pour m’y autoriser, alors bravo et merci les Peggy (Sastre), les Virginie (Despentes), les Coralie (Trinh Thi, que je n’ai pas encore lu mais shhht ;-)… presqu’envie de vous baiser les pieds sur ce coup là mais bon… les fleurs c’est pas mal aussi… plus neutre disons ;-).

C’est aussi un plaidoyer contre le fascisme reproductif et pour la « nulliparité heureuse », c’est-à-dire de choisir de ne pas avoir d’enfants et d’en être fier.

L’expression « fascisme reproductif » peut sembler excessive, mais voyez ce témoignage cité dans l’ouvrage « La première fois que j’ai participé à une réunion No kidding c’était extraordinaire : j‘étais dans la même pièce que plusieurs femmes qui avaient d’autres sujets de conversation que leurs enfants (…) »… Autre témoignage : « Nous vivons dans une société qui a été littéralement lobotomisée par l’idée qu’il n’y a pas mieux pour son épanouissement personnel que de faire un enfant. Mais c’est en réalité une obligation et non plus un choix. Si vous n’avez pas d’enfants vous êtes au mieux pris en pitié, au pire on vous regarde comme le diable en personne »

Là encore je me garderais bien d’entrer dans ce débat là… Mais objectivement j’ai plusieurs personnes autour de moi qui ressentent cette pression… et je suis à peu près certain que vous en connaissez aussi. Je rajouterais que dans la campagne profonde où je suis né il y avait toujours des oncles et des tantes qui n’avaient pas d’enfants et s’en portaient très bien.

Pour ma part je n’en ai pas… Je n’ai pas vraiment d’avis sur la question, simplement elle ne s’est jamais posée, mais au fond de moi il me semble qu’avec mes 7 Mds de congénères l’espèce n’a pas vraiment besoin de moi pour se perpétuer, et que ce serait peut être même plutôt mieux pour la planète que je n’en aie pas…

Pour en revenir au livre… il défend également l’idée d’une sexualité libre, dégagée de toute contrainte normative, et « prenant en considération la diversité des goûts, des pratiques et des personnalités » de chacun.

Ce qui est une position de pur bon sens, mais n’est finalement pas si simple, puisque le sexe demeure le « centre identitaire de la femme » et devient peu à peu le « nouveau siège de son âme » et qu’on constate une sacralisation du sentiment amoureux qui vient remplacer l’ancienne morale matrimoniale…
Personnellement ça ne me dérange pas… après tout chacun fait bien ce qu’il veut… du moment qu’il ne vient  pas faire la leçon aux autres sur leurs choix de vie…

Autre frein à l’émergence d’une sexualité libérée : le fait qu’elle (la sexualité) demeure le point de passage obligé de la reproduction et que « l’accès au partenaire devient l’objet de stratégies et d’une compétition entre les sexes comme au sein de chaque sexe »

Toujours cette fichue peur de l’abandon et de la perte de l’autre… Je ne sais plus qui disait que la peur était le meilleur moyen de se rendre malheureux… mais pour ma part je préfère me réjouir de toutes les belles histoires que j’ai vécues plutôt que de les regretter… et plus j’avance et plus je me dis que dans une société d’abondance sexuelle la fluidité devient une chance de dépasser l’idée de couple mononucléaire tel qu’on l’entend aujourd’hui, et peut être même d’imaginer de nouveaux modes d’organisation sociale et familiale (un vieux rêve ça… mais c’est une autre histoire…)

Mais mon passage préféré, celui qui m’a le plus touché parce que c’est le truc dont on ne parle presque jamais reste quand même que « la liberté sexuelle fait peur, d’abord parce que c’est très inégalitaire : ça peut être dur pour les moches, ceux qui ne se débrouillent pas bien, Houellebecq l’a très bien montré. Certains couchent beaucoup, d’autres pas du tout, ça peut donc être très triste aussi, selon le côté où vous êtes placé ».

Faut il être beau et plein d’assurance pour être pour la liberté sexuelle ?… Ma foi, pour moi qui ne suis pas vraiment un parangon de beauté ça me parait un peu simpliste, mais peut être est ce tout simplement car je n’ai guère de problèmes de timidité… encore que… parfois… lorsque je me retrouve aux pieds de certaines personnes ;-)))).

Le livre se poursuit sur un passage en revue des portes de sorties…

Quelques principes de base par exemple, glanés au fil des pages, comme séparer nettement le sexe de la reproduction et apprendre à développer un discours déculpabilisant sur la sexualité…

Mais il y en a d’autres, plus étonnantes, dont je me garderais bien de parler… Après tout il faut bien vous donner une bonne raison d’acheter le livre, d’autant plus que c’est un ouvrage clair, documenté, très bien écrit, parfois drôle, et souvent touchant…

Bref un joli coup de coeur pour ce livre… Et de profonds remerciements à la personne qui me l’a fait connaître ;-).

Le livre s’achève sur une série de témoignages de femmes, connues ou non, qui ont choisi d’emprunter d’autres chemins… Certaines d’entre elles pratiquent d’ailleurs le SM… au point que j’en viens à me demander s’il n’y aurait pas un vague rapport avec le fait que j’apprécie tant les femmes libres ;-)…

Je me permettrais de finir sur une p’tite citation de l’une d’entre elles, à savoir Catherine Robbe-Grillet (grande dominatrice devant l’éternel), et qui concerne les  figures de proue du féminisme actuel : « Ces femmes ne me représentent pas, elles m’énervent. […] Ces femmes oublient ou ne veulent pas voir l’essentiel […] : les comportements et les réactions des individus, surtout lorsqu’il s’agit de sexe, sont extrêmement divers. Personne ne devrait jamais parler à la place des autres. »

On ne saurait mieux dire ;-))))).

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La source et la flèche

Au commencement était la source.

Celle ci coulait, dit on, au milieu d’une forêt de hêtres, sur un îlot cerné de cours d’eaux et de marécages… passent les lunes, passent les saisons, passent les nuages… Un jour un homme vêtu de peaux s’y arrêta et vint ériger un autel de pierre au bord de ses eaux chantantes. Il se murmure qu’il s’y pratiquait toutes sortes de sacrifices, mais ces temps anciens appartenaient déjà à la légende lorsque les romains vinrent installer un camp retranché sur l’île. L’histoire a retenu que cet autel servit un temps au culte de Lug, avant que les triboques ne viennent le consacrer à un géant sylvestre vénéré par les peuplades germaniques de l’époque.

Les romains consacrèrent l’autel à Mars, dieu de la guerre, tout comme l’était déjà le vieux Lug des celtes… Ils bâtirent un temple sur la source, et les années passèrent jusqu’au jour où une croix vint se dresser sur le faîte de la bâtisse… C’était après le règne de Constantin, et la source devint front baptismal juste avant que les barbares n’enfoncent le limes par une nuit de décembre 406, à la faveur d’un hiver tellement froid que même le fleuve qui servait de frontière naturelle avait gelé.

La légende dit que l’eau de la source servit à baptiser Clovis sur les décombres de l’antiquité… Puis le lieu fut abandonné et seules des ombres furtives vinrent parfois se glisser entre les ruines de ce qui avait été autrefois une cité prospère et animée dénommée Argentorate. Ce fut le grand hiver et, à l’instar de celui qui sépara la chute de Mycènes du printemps d’Homère, nul ne sait vraiment ce qui s’y noua.

On sait en revanche qu’il y avait une basilique en bois sur les ruines du temple vers l’époque où les fils de Charlemagne se disputaient la suzeraineté de l’îlot, et il est dit qu’elle s’embrasa lors d’un orage en 1007. Ce fut l’évêque Wernher, apparenté aux Etichonides et aux Habsbourg, qui entreprit d’amasser des fonds pour la rebâtir.

Les travaux démarrèrent en 1015 et il fallut d’abord planter des pieux de chêne en guise de fondations pour stabiliser le sol gorgé d’eau. L’édifice roman fut achevé vers 1170, mais un nouvel incendie et l’avènement d’un nouveau style architectural du côté de Chartres et de la Sainte Chapelle des rois capétiens firent que l’on entreprit aussitôt d’en rebâtir une nouvelle, plus grande, plus fine, plus lumineuse, plus représentative du génie de son époque. Les travaux durèrent jusqu’en 1439, et douze générations de maîtres artisans vinrent depuis toute l’Europe pour oeuvrer à un chantier dont ils ne virent pas la première pierre, pas plus qu’ils n’en virent la dernière…

L’édification d’une seconde flèche fut abandonnée lorsque l’on s’avisa que le sol
menaçait de s’affaisser sous le poids de l’ensemble, mais la première resta longtemps la plus haute d’Europe. L’aspect final de la façade, toute en fine dentelle de grès rose provenant des Vosges voisines, ainsi que son immense rosace en épis de blé doivent beaucoup au talent de maître Erwin von Steinbach dont les plans sur parchemins sont encore aujourd’hui pieusement conservés par l’Oeuvre Notre Dame qui n’a cessé de veiller sur la destinée de la cathédrale depuis ses origines.

L’antique baptistère fut clos lorsque la ville fut gagnée par les idées réformistes de Luther. Et il est dit qu’il fut définitivement muré après qu’un soldat s’y soit noyé. C’était peu après le retour des français, et ils furent salués en sauveurs après 150 ans de guerres insensées qui avaient laissé toute l’Europe exsangue et devaient donner naissance à ces temps que l’on dit parfois modernes…

La cathédrale veillait sur la ville et les plaines avoisinantes du haut de sa flèche altière. Ce fut Viollet Le Duc qui lui apporta sa dernière modification d’envergure sous la forme d’une petite tour octogonale venant coiffer la croisée du transept… Il me plaît d’y voir une petite sœur de la flèche, et un hommage à la chapelle palatine de celui qui fut le premier à porter le grand rêve européen…

C’était à chaque fois juste avant que l’histoire ne s’affole en l’un de ces emballements périodiques dont elle semble coutumière… Mais la cathédrale demeure, témoin de ce qui fut, de ce qui est, et je l’espère de ce qui sera.

Et la source me direz vous ?
Elle est toujours là et coule à 11 mètres sous une dalle un peu plus grande que les autres située dans la nef sud… Cherchez vous la trouverez.

Et peut être trouverez vous aussi ce lac souterrain dont la légende prétend que l’on y accède – à condition d’avoir un cœur pur – par un escalier partant d’une maison contigüe à la plus ancienne pharmacie de la ville… située juste en face du portail, de l’autre côté du parvis… Mais ce n’est là qu’une des innombrables histoires qui circulent sur le compte de cet édifice vénérable et fabuleux, où se brassent et se mêlent depuis bientôt mille ans les vents de l’histoire et les rêves des hommes…

… Quelque part entre source et flèche…


Illustration Tomi Ungerer
(dont le papa fut maître de l’horloge astronomique)

(spécialement dédié aux tisseuses de songes et aux fées qui les inspirent :-)

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Mémoires d’Alsace

Du solltest die Geschichte deines Grossvaters schreiben…
Tu devrais écrire l’histoire de ton grand père…

« Il a changé cinq fois de nationalité. Il est né sous Napoléon III, il a grandi sous Bismarck, il a souffert sous Guillaume II. En novembre 1918 il a reçu l’accolade de Clémenceau. Il a perdu ses illusions sous Poincaré, Herriot, Tardieu, et autres phenix de la 3ème république. Il a été crucifié sous Hitler. Il a repris espoir et aussitôt déchanté sous Queuille, Ramadier, et autres prodiges de la 4ème.   

La guerre de 1870 lui a pris son père, celle de 1914 plusieurs de ses fils, celle de 39 deux de ses petits fils. Il a trop vécu. Il a connu des joies sans nombre et des souffrances démesurées. Tout cela parce que deux peuples qui ne désiraient que la paix se sont laissé imposer des siècles de guerre, et que nous autres, alsaciens, qui devons tant au génie de l’un et de l’autre avons été coincés par la connerie des deux. »

Jean Egen, le partage du sang, 1983

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Solstice

Sol Invictus (Soleil invaincu) était une divinité romaine apparentée à Mithra et à Apollon. Son culte a connu une certaine notoriété dans l’antiquité tardive et l’empereur Aurélien en fit même le patron de l’empire romain en 274 de notre ère, soit à peine plus d’un siècle avant la fermeture des temples païens. C’est sans doute à cause de son caractère tardif que cette divinité est restée peu connue, et peut être même aurait elle été totalement oubliée si sa fête n’avait pas été fixée au… 25 décembre… Bah oui…

Il y avait d’autres fêtes païennes vers cette époque de l’année, les plus connues étant les saturnales et leur cortège de réjouissances entre le 17 et le 24 décembre… Ces fêtes étaient liées au solstice d’hiver, c’est à dire le moment où les jours cessent de raccourcir et commencent à se rallonger dans l’hémisphère nord… Et plus tard Noël est venu se greffer, comme beaucoup d’autres fêtes religieuses, sur ces célébrations antiques  qui remplaçaient peut être elles même déjà des rites immémoriaux liés aux cycles naturels… 

La date du 25 a probablement été choisie car c’était là que le rallongement des jours devenait perceptible avec les moyens limités de l’époque… En ces temps là l’astronomie se pratiquait principalement à l’aide de jalons plantés dans le sol pour mesurer le déplacement des astres…

Les moyens actuels ont gagné en précision ce qu’ils ont perdu en poésie, et on sait qu’aujourd’hui 21 décembre 2008 et jour le plus court de l’année, le soleil se lève à 8h41 et se couche à 16h56… du moins à Paris, car à Brest c’est un peu plus tard et à Strasbourg un peu plus tôt, mais bon on va pas non plus chipoter ;-)… On sait aussi mesurer l’heure exacte du solstice et cette année il a lieu à 12h03 TU, soit 13h03 heure de Paris.

J’ai donc l’immense joie, l’honneur et l’avantage de vous annoncer qu’a l’heure où ce billet fait son apparition au pays de Heidi Silicium les jours ont commencé à rallonger depuis très exactement… 3 minutes :-).


(Wolfgang Staudt)

Le solstice marque également le début de l’hiver…
J’aime bien cette saison… C’est un temps de repos et de régénération pour tout ce qui vit sur terre… Les animaux, les plantes… tout se met au ralenti et il n’y a guère que les humains pour continuer à s’agiter encore… La nature semble figée, mais ce n’est qu’un assoupissement, et sous le manteau de gel les petites graines commenceront bientôt à prendre des forces en prévision de la germination. Pour moi l’hiver est à la fois un prélude et une condition nécessaire à la venue du printemps… et c’est bel et bien lui qui vient de se remettre en marche vers nous, il y a…  houlala… 3 minutes et 8 secondes déjà ;-), emportant avec lui sa chaleur et sa lumière…

Bien sûr il lui faudra un peu de temps pour faire le trajet, mais… il est en route… et c’est plutôt une bonne nouvelle je trouve :-).

Ca mériterait presque une fête tiens…

Je ne suis pas trop fan de Noël car il me semble que le mercantilisme de notre époque l’a un peu vidé de sa substance… Ou alors c’est juste parce que je ne suis pas très porté sur la famille… Je ne suis pas trop non plus pour la restauration des anciens cultes… ni d’aucun culte que ce soit d’ailleurs, à l’exception bien sûr de celui du coquelicot sacré, mais c’est là plutôt un rituel sensuel pour les nuits d’été ;-)…

En revanche pour l’hiver j’aime assez l’idée d’un moment de lâcher prise et de réjouissance pour célébrer un bel événement de portée universelle, peu importe le nom et la forme qu’on lui donne finalement… C’est à chacun de trouver celle qui lui convient, et quoique vous fassiez pour ces fêtes de fin d’année je vous souhaite d’y trouver du sens… et beaucoup de plaisir :-)

J’ai beaucoup à faire en ce moment et question lâcher prise ça va être moyen bof ces prochains jours… mais ce que je fais a beaucoup de sens pour moi alors c’est déjà un bon début… et je tenais aussi à faire ce billet le jour du solstice :-)

3 minutes et 21 secondes maintenant… non, 22… 23… 24… 25…
:-)


(Scott London)

Belles fêtes de fin d’année :-)

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Ultimogéniture

J’ai entendu parler pour la première fois des Hopis en
lisant la trilogie martienne de Kim Stanley Robinson… C’est ironique de
découvrir un peuple racine à travers un (excellent) roman de science fiction, mais c’est comme ça.

Le livre décrivait, entre autres choses, la naissance d’une culture
harmonieuse, inspirée de traditions bien
de chez nous, dont celle des indiens Hopis d’Amérique. C’est une
tribu qui demeure encore dans le nord de l’Arizona, une zone assez désertique
donc et compte environ 6500 personnes, dont 80% parlent le Hopi.

C’est une culture matriarcale, ce qui
est une des raisons pour lesquelles le sujet m’avait intéressé… Quelque part je
suppose que c’est lié à mon p’tit côté sm ;-)… Mais aussi à des questionnements récurrents
sur les mutations sociétales en cours et les nouvelles formes d’organisation en émergence  (un autre de mes dadas ;-)…

Chez les Hopis l’héritage se
transmet à la fille cadette du foyer selon la règle de l’ultimogéniture…
et ainsi ce sont les femmes qui
possèdent la terre, seule source de richesse dans ces contrées arides… Il paraît aussi que l’ultimogéniture permet d’éviter pas mal de querelles de succession, mais je n’ai pas creusé ce point.

Lors des récoltes ce sont les femmes qui s’occupent de la
répartition du grain. Ce sont elles aussi qui s’occupent des
semences ainsi que de la culture et de l’entretien des jardins. Et les hommes me direz vous ?
Ben ils se tapent le reste du boulot : préparer la terre, entretenir les champs, récolter…
C’est bête, moi qui adore jardiner je serais certainement très malheureux si j’étais
né hopi ;-).

Les mariages sont décidés entre les mères… bon d’accord ça
c’est moyen bof, mais je vous ferais remarquer que je n’ai jamais dit que je
trouvais tout ça génial ;-)… Mais je trouve très touchant que ce soient le marié et les hommes de sa famille qui se chargent de tisser la robe de la mariée, et qu’après le mariage c’est le garçon va
vivre dans sa belle famille.

Leur vie tourne autour du cycle de la culture du maïs et des
transhumances animales.

Ils ont une mythologie compliquée. En gros ils pensent que
nous vivons dans le quatrième monde, mais comme je n’y comprends pas grand chose je préfère m’en tenir là. En
revanche c’est très intéressant de voir que cette culture traditionnelle est enseignée par voie orale, à travers des récits à la fois divertissants
et éducatifs qui contiennent des préceptes éthiques que le schtroumpf hopi pourra s’approprier en grandissant… (quoi ? Ils regardent pas le 20h00 ?
Oh !?).

Ils considèrent que chaque vérité n’est jamais qu’une porte pour accéder à une vérité plus élevée… Ce qui est une belle façon d’éviter les tentations intégristes,
puisqu’au fond ils ne considèrent jamais qu’ils sont arrivés à LA vérité qui pourrait prétendre supplanter toutes les autres… Un bon moyen aussi pour
rester dans une attitude de progrès, d’apprentissage et de maturation tout au
long de l’existence…
Une très belle façon de voir les choses je trouve :-).

Je suis tombé sur un truc bizarre. Il se murmure que
les hopis avaient une série de prophéties annonçant en gros les événement du
XXème siècle… et que nous serions à l’orée de ce qu’ils appelaient « la
grande purification », dont les signes annonciateurs seraient, selon les
exégètes, la conquête de la lune et la présence de satellites permanent dans l’espace.

Fichtre ! Généralement quand je suis confronté à ce genre de trucs j’ai
la seule réaction saine possible, qui est d’en rire, mais au fond de moi il y a
toujours une petite voix qui se demande… et si ? et si ?

Comme je crois quand même un tout petit peu à la raison j’ai mis mes lunettes de
sceptique pour creuser le sujet… J’ai plongé dans le net donc, à la
recherche de ces fameuses prophéties… et qu’est ce que j’en ai retiré ?
1) qu’il y a des tas de sites tendance new age / ufo / « on
nous cache tout on nous dit rien »… qui parlent de ces prophéties
2) que je n’ai pas trouvé de textes d’ethnologues mentionnant
leur existence dans les traditions hopis (toujours chercher l’info à
sa source, et plus encore sur internet ;-), ce qui m’amène à penser que
ces prédictions sont des faux.
3) que ces prophéties n’ont été « dévoilées » qu’en 1968…
ce qui est bien commode puisque la plupart des événements prédits était déjà
arrivés… Bref leur authenticité est au pire douteuse, et au mieux invérifiable…

De toute façon ça n’a pas tellement d’importance… Qu’elles soient vraies ou fausses ça ne change pas grand chose au fait que le monde ne va pas
très bien en ce moment… Pourquoi j’en parle alors ?

Tout simplement car j’ai trouvé un texte sympa au cours de mes vagabondages digitaux… Il disait que la
nature de la purification évoquée dans la prophétie sera déterminée par les choix individuels de tout un chacun…
Soit on continue sur la même lancée qu’aujourd’hui…
consommation effrénée etc. donc et bonjour aspirine quand on aura cramé les
dernières ressources de la planète, soit chacun choisit de se transformer de
l’intérieur, pour aller vers plus de conscience individuelle…
Et si
suffisamment de personnes font cet effort de transformation intérieure, alors la « grande
purification » évoquée pourrait bien être celle « de l’amour, de la conscience, du génie et de la
compassion »…

Et ça, prophétie ou pas, c’est le genre de choses qui me parlent, et
qui plaisent à Heidi Silicium…

Sur les hopis :
sur wikipedia
(la version anglaise est plus détaillée)
Bureau officiel de préservation de la culture Hopi 

(Merci à la personne qui a inspiré ce post ;-)…

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Phyllis et Aristote : ze enquête

Il y a quelques années, j’ai lu la nef des fous, un chef d’oeuvre de la littérature médiévale aux accents étonnamment contemporain, rédigé en 1494 par Sébastien Brant dans la plus pure tradition satirique rhénane. Et là je tombe sur un lai disant que le sage Aristote avait pour coutume de se faire harnacher et monter par sa maîtresse Phyllis.

Bon d’accord, Sébastien Brant a écrit pour caricaturer les folies et les vices qu’il voyait autour de lui, une relecture médiévale et commentée des 7 péchés capitaux en quelque sorte… Toutefois je vous laisse imaginer l’état de ravissement dans lequel ça m’a plongé… Quoi Aristote lui même ? Le sage d’entre les sages ne dédaignait pas d’aller se faire monter de temps à autre par une Dame… Si les plus grands philosophes de l’antiquité eux mêmes cautionnaient mes petites fantaisies… C’était un peu comme d’aller voir un film érotique avec la bénédiction du festival de Cannes…

Et puis un jour… j’ai voulu vérifier. Internet est parfait pour vérifier une anecdote, on peut accéder en quelques secondes à n’importe quelle information (bon faut faire gaffe quand même à ce qui est écrit, tant il est vrai que c’est aussi le média idéal pour réécrire le passé en propageant de fausses informations, et pas toujours de bonne foi d’ailleurs), mais globalement, quand vous avez plusieurs sources académiques qui disent toutes la même chose vous pouvez considérer qu’il s’agit d’une information un tant soi peu avérée et fiable…

Il m’a suffi de taper  » Aristote et Phyllis  » sur google (si si, essayez, vous verrez comme c’est simple…) et je suis tombé sur cette notice d’une oeuvre exposée au musée Dobrée, de Nantes :

 » Au Moyen Âge, alors que les théories d’Aristote sortent tout juste d’un long oubli, circule un roman relatant un curieux épisode de la vie d’Aristote : Aristote reprochait à son élève Alexandre de délaisser ses études pour l’amour d’une courtisane, Phyllis. Celle-ci se vengea en séduisant le philosophe et en se promettant à lui s’il se laissait chevaucher par elle. Il céda, et Phyllis prévint alors Alexandre en chantant un lai d’amour [petit poème narratif]. Ce dernier ne manqua pas de se moquer de son maître… « 

L’Alexandre en question était le fils d’un roitelet de Macédoine, et promis à un avenir assez glorieux… Mais c’était quand même assez curieux… Et puis on n’était plus du tout dans une histoire de plaisir partagé, mais dans quelque chose qui ressemblait fort à une vengeance.

Plus tard je tombe sur un livre scanné dans Google books , avec un petit encadré disant que ce sujet est emprunté au  » lai d’Aristote, lui même inspiré d’un conte oriental et dû au trouvère Henri d’Andely, actif à Paris vers 1220-1240 (…) « 

Allons donc, v’là t’y pas un conte oriental maintenant… Fichtre ! Et Aristote dans tout ça ?

Bon il est vrai que si vous prenez un jour le temps de lire les mille et une nuits, vous verrez que c’est loin d’être une bluette, et c’est même souvent carrément trash… Mais je digresse là… Revenons plutôt à notre philosophe et à sa Dame hippophile…

Je poursuis, et je tombe sur une page consacrée à Hans Baldung Grien… extrait…  » (…) Le thème du philosophe, réduit en esclavage par la femme, est au Moyen Age prétexte à fabliaux, représenté dans des miniatures et des ivoires. ( …) « 

Et encore plus tard, dans un autre document je trouve :

 » (…) Les nombreuses illustrations de cet épisode se nourrissent probablement d’autres textes sur le pouvoir des femmes et sur les dangers de l’amour. Ainsi, dans son fabliau érotique Le vilain de Bailluel, Jean Bodel déclare :
Mes li fabliaus dist en la fin
C’on doit por fol tenir celui
Qui mieus croit sa fame que lui ! (…)

Et plus tard encore… sur un autre site

 » Héritage de la misogynie traditionnelle des milieux cléricaux du Moyen Age (dont la querelle du Roman de la Rose, vers 1400, fut une manifestation), le thème du pouvoir des femmes se teinte probablement, à la fin du XVe siècle, d’une satire des codes courtois. Il s’oppose assez nettement à celui des neuf Preuses : certes les preuses sont puissantes, mais elles s’inscrivent dans un idéal chevaleresque que la fin du XVe siècle commence à railler… « 

Hmmm, ça commence à sentir franchement le roussi tout ça… ce que je prenais pour une anecdote croustillante ne serait il qu’une légende urbaine pour persifler l’influence néfaste des sentiments en général et des femmes en particulier ? Il est vrai que la renaissance marque le début d’une époque où la raison va prendre progressivement le dessus sur toute autre considération… 

Et alors Aristote dans tout ça ?
Est ce qu’il se faisait vraiment harnacher par Phyllis ?

En l’absence de traces de textes contemporains d’Aristote narrant cette histoire, je serais plutôt porté à croire qu’il s’agit d’un conte destiné à l’édification des masses, rédigé pour fustiger la quête de volupté en l’opposant à la vertu et à la sagesse.

Finalement cette histoire est très manichéenne : elle veut montrer qu’il y a incompatibilité entre la volupté et la sagesse. Elle invite l’homme a renoncer aux plaisirs de la sensualité pour se consacrer au seul culte de la raison… et s’il ne le fait pas on ne manquera pas de faire de lui la risée de ses pairs. C’est le début d’une époque très moralisatrice et très mysogyne, qui comme par hasard sera bientôt inaugurée par 150 ans de guerres de religions qui vont saigner l’Europe comme jamais elle ne l’a été… avant de déboucher sur d’autres horreurs.

C’est assez ironique je trouve que cette histoire ait pris Aristote pour cible… Sa logique, qui est d’ailleurs toujours un des fondements de notre mode de pensée occidental, nous invite a raisonner en termes d’exclusions : Si la raison est plus grande que la volupté c’est qu’il faut renoncer à la seconde, pour ne se consacrer qu’à la première.

C’est, me semble t il, ce qu’en ont retenu les penseurs de la renaissance.

C’est là aussi qu’ils se sont peut être trompés : pour ma part je vois pas pourquoi je devrais choisir entre la raison ou la volupté, renoncer à l’un pour l’autre… Pour ma part j’ai envie de les concilier, de les reconnaître comme deux pôles influents de ma nature d’homo sapiens. Pour ma part j’ai envie de m’appuyer à la fois sur la raison et sur la sensualité pour guider mes pas. J’ai envie de faire en sorte que chacune nourrisse l’autre, et que ça me permette de réconcilier ce qui relève en moi de la cérébralité de mon esprit et ce qui relève de la sensualité de mon corps

Pour en revenir à Aristote, j’ai longtemps eu une image très sérieuse des grands anciens, je me les représentais en hommes très sages, très graves, très austères, utilisant toujours des mots très compliqués… Un peu ch… pour tout dire ;-).

Puis j’ai découvert que les questions qu’ils se posaient étaient de bonnes questions, et que les réponses qu’ils avaient données expliquaient pour une bonne partie le monde actuel… Et surtout je me dis qu’ils ne devaient pas être aussi austères que ça, que ce n’est qu’une façade, une autre fable érigée par des générations de contempteurs… Je ne vois pas pourquoi la philosophie empêcherait d’être léger. Je ne serais pas étonné de découvrir un jour qu’ils aimaient aussi se laisser aller de temps en temps à de franches rigolades en se murgeant le groin à l’hydromel sur l’agora avant d’aller se lâcher un peu sur les autels de dyonisos.

Finalement j’aime bien me dire qu’Aristote prenait plaisir à se faire chevaucher de temps à autre par une Dame langoureuse qui n’avait pas froid aux yeux… :-).

Même si au fond la réalité c’est que je n’en sais rien.
Allez, une p’tite dernière pour finir, que je trouve très jolie… Lisez la notice qui figure au bas de l’image… Elle est amusante je trouve… :-).

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