Ex utero

« Ce livre est né de frustrations, comme celles d’entendre, de voir, de lire des « féministes » et de ne pas s’y reconnaître  (…), la frustration également de n’accrocher à aucun intérêt commun, parce qu’un tel intérêt n’existe pas en dehors du consensus d’une majorité sur une ou plusieurs minorités, système qui n’a plus lieu d’être dans nos sociétés pluralistes (…) »  tel est le propos préliminaire de ce bel essai de Peggy Sastre sous titré « Pour en finir avec le féminisme… »

Son constat de départ : les femmes ont largement conquis leur liberté au cours du dernier siècle… elles travaillent, touchent des salaires, divorcent, ont l’autorité sur les enfants, séparent sexe et reproduction, mais… et si la pire oppression demeurait en elles ?

Et si au delà du joug masculin subsistait « l’entrave d’un corps fait pour assurer la charge de la reproduction d’une espèce et les représentations psycho-biologiques qui en découlent, y compris chez les femmes elles mêmes, et qui feront qu’une Marie couche toi là sera irrémédiablement regardée, en premier lieu par ses camarades de genre, avec mépris ou au mieux compassion » ?

L’ouvrage se présente comme un plaidoyer contre un féminisme « officiel » qui rejette l’hédonisme et considère qu’une femme choisissant d’assumer et (pire) d’exposer des formes de sexualité alternatives  serait forcément à côté de la plaque et victime d’une société machiste qui la reléguerait au rang d’objet érotique, ce qui est pour le moins lui dénier toute possibilité de libre arbitre.

Il se présente également comme une invitation à celles qui le
désirent de s’extraire de ce carcan… Invitation que l’auteur résume
très joliment par « En un mot qui m’aime me suive, il est encore temps
pour les autres d’aller se faire foutre »
… Comme quoi on peut être docteur en philo et avoir le verbe haut et clair
;-)…

C’est peu de dire que j’ai aimé ce livre… C’est vrai quoi… en tant que garçon, et donc forcément oppresseur millénaire et obsédé (bah oui, désolé ;-) comment pourrais je envoyer sur les roses ces nouvelles grenouilles de bénitier qui prétendent qu’une fille doit forcément être amoureuse pour faire l’amour (on dirait presque du Benoît), ou déclament du haut de leur chaire qu’« une actrice porno ne peut pas consentir à faire son métier », en gros que c’est une incapable majeure qui ne peut pas décider ce qui est bon pour elle ou pas…

Bah oui c’est tout simplement pas possible, et puis avec mon p’tit côté soumis j’ai bien trop d’admiration pour le genre féminin pour m’y autoriser, alors bravo et merci les Peggy (Sastre), les Virginie (Despentes), les Coralie (Trinh Thi, que je n’ai pas encore lu mais shhht ;-)… presqu’envie de vous baiser les pieds sur ce coup là mais bon… les fleurs c’est pas mal aussi… plus neutre disons ;-).

C’est aussi un plaidoyer contre le fascisme reproductif et pour la « nulliparité heureuse », c’est-à-dire de choisir de ne pas avoir d’enfants et d’en être fier.

L’expression « fascisme reproductif » peut sembler excessive, mais voyez ce témoignage cité dans l’ouvrage « La première fois que j’ai participé à une réunion No kidding c’était extraordinaire : j‘étais dans la même pièce que plusieurs femmes qui avaient d’autres sujets de conversation que leurs enfants (…) »… Autre témoignage : « Nous vivons dans une société qui a été littéralement lobotomisée par l’idée qu’il n’y a pas mieux pour son épanouissement personnel que de faire un enfant. Mais c’est en réalité une obligation et non plus un choix. Si vous n’avez pas d’enfants vous êtes au mieux pris en pitié, au pire on vous regarde comme le diable en personne »

Là encore je me garderais bien d’entrer dans ce débat là… Mais objectivement j’ai plusieurs personnes autour de moi qui ressentent cette pression… et je suis à peu près certain que vous en connaissez aussi. Je rajouterais que dans la campagne profonde où je suis né il y avait toujours des oncles et des tantes qui n’avaient pas d’enfants et s’en portaient très bien.

Pour ma part je n’en ai pas… Je n’ai pas vraiment d’avis sur la question, simplement elle ne s’est jamais posée, mais au fond de moi il me semble qu’avec mes 7 Mds de congénères l’espèce n’a pas vraiment besoin de moi pour se perpétuer, et que ce serait peut être même plutôt mieux pour la planète que je n’en aie pas…

Pour en revenir au livre… il défend également l’idée d’une sexualité libre, dégagée de toute contrainte normative, et « prenant en considération la diversité des goûts, des pratiques et des personnalités » de chacun.

Ce qui est une position de pur bon sens, mais n’est finalement pas si simple, puisque le sexe demeure le « centre identitaire de la femme » et devient peu à peu le « nouveau siège de son âme » et qu’on constate une sacralisation du sentiment amoureux qui vient remplacer l’ancienne morale matrimoniale…
Personnellement ça ne me dérange pas… après tout chacun fait bien ce qu’il veut… du moment qu’il ne vient  pas faire la leçon aux autres sur leurs choix de vie…

Autre frein à l’émergence d’une sexualité libérée : le fait qu’elle (la sexualité) demeure le point de passage obligé de la reproduction et que « l’accès au partenaire devient l’objet de stratégies et d’une compétition entre les sexes comme au sein de chaque sexe »

Toujours cette fichue peur de l’abandon et de la perte de l’autre… Je ne sais plus qui disait que la peur était le meilleur moyen de se rendre malheureux… mais pour ma part je préfère me réjouir de toutes les belles histoires que j’ai vécues plutôt que de les regretter… et plus j’avance et plus je me dis que dans une société d’abondance sexuelle la fluidité devient une chance de dépasser l’idée de couple mononucléaire tel qu’on l’entend aujourd’hui, et peut être même d’imaginer de nouveaux modes d’organisation sociale et familiale (un vieux rêve ça… mais c’est une autre histoire…)

Mais mon passage préféré, celui qui m’a le plus touché parce que c’est le truc dont on ne parle presque jamais reste quand même que « la liberté sexuelle fait peur, d’abord parce que c’est très inégalitaire : ça peut être dur pour les moches, ceux qui ne se débrouillent pas bien, Houellebecq l’a très bien montré. Certains couchent beaucoup, d’autres pas du tout, ça peut donc être très triste aussi, selon le côté où vous êtes placé ».

Faut il être beau et plein d’assurance pour être pour la liberté sexuelle ?… Ma foi, pour moi qui ne suis pas vraiment un parangon de beauté ça me parait un peu simpliste, mais peut être est ce tout simplement car je n’ai guère de problèmes de timidité… encore que… parfois… lorsque je me retrouve aux pieds de certaines personnes ;-)))).

Le livre se poursuit sur un passage en revue des portes de sorties…

Quelques principes de base par exemple, glanés au fil des pages, comme séparer nettement le sexe de la reproduction et apprendre à développer un discours déculpabilisant sur la sexualité…

Mais il y en a d’autres, plus étonnantes, dont je me garderais bien de parler… Après tout il faut bien vous donner une bonne raison d’acheter le livre, d’autant plus que c’est un ouvrage clair, documenté, très bien écrit, parfois drôle, et souvent touchant…

Bref un joli coup de coeur pour ce livre… Et de profonds remerciements à la personne qui me l’a fait connaître ;-).

Le livre s’achève sur une série de témoignages de femmes, connues ou non, qui ont choisi d’emprunter d’autres chemins… Certaines d’entre elles pratiquent d’ailleurs le SM… au point que j’en viens à me demander s’il n’y aurait pas un vague rapport avec le fait que j’apprécie tant les femmes libres ;-)…

Je me permettrais de finir sur une p’tite citation de l’une d’entre elles, à savoir Catherine Robbe-Grillet (grande dominatrice devant l’éternel), et qui concerne les  figures de proue du féminisme actuel : « Ces femmes ne me représentent pas, elles m’énervent. […] Ces femmes oublient ou ne veulent pas voir l’essentiel […] : les comportements et les réactions des individus, surtout lorsqu’il s’agit de sexe, sont extrêmement divers. Personne ne devrait jamais parler à la place des autres. »

On ne saurait mieux dire ;-))))).

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Creative Commons License doigt de miel

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6 Responses to Ex utero

  1. doigt de miel says:

    Quel sujet un dimanche matin. en lisant toutefois quelques extraits et en connaissant quelques ouvrages cités, j’ai souvent dans ces œuvres le sentiment que chacun défendant une chapelle ils deviennent caricature. Rien n’est dans le rapport sexuel (pas l’acte mais dans complétude reproductif ou loisir rire) simple. Tellement d’éléments se télescope que l’affirmation en devient risible. Je ne veux pas avoir ici un propos gris ou terne, j’aime trop la sexualité et ses excès (les miens ou les notres) pour avoir un discours grisaille) mais il me semble que l’analyse sociologique de la sexualité est une activité vaine. je ne peux ici développé ce que je pense de ses essais qui chacun contiennent des éléments sagaces, mais au fond de moi, la perception d’une étude trop détentrice d’une vérité.
    Posté par X-Addict, 25 juillet 2009 à 10:25

    Honneurs
    Je suis ravie de faire les honneurs des commentaires sur votre note, très cher. Je ne peux que souscrire à votre analyse et à votre lecture. Lisant Freud hier j’ai encore pensé à la musardine mais ceci est une autre histoire, celle de la revanche du clitoris. Il y a, dans ce que dit ou plutôt écrit Peggy Sastre quelque chose de très vivifiant et qui manque en France je trouve, (no kidding)et bien entendu je souscris aussi aux propos de Jeanne de Berg. Je suis ravie d’apprendre que tout ceci trouve echo chez un homme qui aimerait sans doute voir les escarpins que je me suis offerts hier ;-)
    Posté par MademoiselleSix, 25 juillet 2009 à 10:35

    Es tu à tendance « myso » ?
    C’est ce que Pedro m’a demandé récemment lors d’un dial, rappelez vous…
    Ah! Les femmes et leurs combats obsolètes, les femmes et leurs caprices décalés et intemporels.
    Jamais les hommes et les femmes ne seront « égaux » et fort heureusement! Nous, les femmes, enfantons, et cela coupe court à toute polémique sur la parité.
    Je regrette que nous ne cultivions pas plus ces différences qui nous distinguent.
    Concrètement: Je suis mère, je travaille, ma sexualité est TRÈS libérée mais/et je suis mariée.
    Pour les unes comme pour les autres, ce n’est pas bien. Pas « normal ». Il y a toujours la cadre « surdiplomée » sans enfants qui vous rappelle que vous n’êtes bonne qu’à torcher vos morveux et ne faites rien pour la société. Au boulot, on vous dit que vous les délaissez (vos morveux) et qu’il ne fallait en faire. Dans le libertinage ou sm, toujours d’autres pour vous dire que vous vous éparpillez trop. Qu’il faut choisir d’être telle ou telle.
    Qui critique le plus: les FEMMES.
    Qui jalouse le plus: les FEMMES.
    Qui dénigre le plus: les FEMMES.
    Qui se prends pour mieux que l’autre? la FEMME.

    Conclusion? Je suis un homme comme les autres.
    Posté par Madame X, 25 juillet 2009 à 10:48

    Pour Madame X
    J’aime bien l’énergie de votre commentaire! Ce que Peggy sastre remet en question dans « ex utero » il me semble, c’est justement cette différence là, celle qui fait que nous portons les enfants et qui peut-être, est en passe de changer grâce ou à cause de la médecine. « Les femmes » est sans doute une réalité qui n’existe pas, tout en seins et en talons aiguilles, je reste un brave petit soldat (antimilitariste mais c’est une autre histoire).

    A X-addict: pas faux tout ça, baisons pendant qu’il en est encore temps plutôt que de parler de baise!
    Posté par MademoiselleSix, 25 juillet 2009 à 11:40

    A…
    X-addict…
    Justement ce que j’aime bien chez elle c’est qu’elle ne défend pas une vision universelle, ni ne prétend à une vérité quelconque… Elle part juste d’un constat qui lui déplait et propose une voie parmi d’autres… Après bien sur à chacun d’y injecter sa sensibilité propre… Ce serait trop triste sinon ;-)… J’aime beaucoup cette notion de sociétés plurielles où chacun vit à sa guise… ça ouvre beaucoup de possibilités, et je trouve que vous en donnez d’ailleurs une magnifique illustration ;-)…

    Pour le reste je suis assez d’accord avec le résumé de Mlle Six ;-)
    (et désolé d’avoir troublé votre week-end ;-)
    Bises

    Mlle Six…
    Je suis ravi que vous soyez ravie :-) et… beaucoup de tendresse effectivement pour Jeanne de B… dont « L’image » avait enchanté la période où je faisais mes premiers pas dans le petit monde enchanté du SM…

    Un p’tit sourire aux lèvres aussi, lorsque j’imagine vos escarpins, mais c’est une autre histoire ;-)
    Bises

    Madame X…
    Oui j’avais beaucoup aimé ce texte ;-)…
    Il y a effectivement une petite différence hommes femmes, mais j’avoue que j’y vois davantage de points communs que de différences… et me sens, d’une certaine manière, une femme comme une autre ;-)…

    Je regrette quand même que vous ayez a affronter de telles jalousies… C’est étrange cette façon qu’ont certaines personnes de toujours vouloir vous dire ce qui est bon ou pas, et vous mettre dans des cases alors qu’il y a tellement de chemins différents à emprunter… pour ma part je préfère explorer… c’est bien plus amusant ;-)
    Bises
    Posté par doigt de miel, 26 juillet 2009 à 19:58